samedi 9 février 2008

Espagne: la transition inachevée...

La proximité des prochaines élections législatives qui se dérouleront en Espagne en mars prochain sont une occasion pour moi d’évoquer le climat politique particulièrement tendu dans mon pays d’origine. Militaires remettant en question le pouvoir du gouvernement civil, conférence épiscopale faisant la propagande d’un parti politique, tentative d’influence du politique sur le monde judiciaire,…La tension est palpable, et par certains aspects, n’est pas sans rappeler un passé dramatiquement conflictuel. Dans les lignes qui suivent, j’esquisserai une ébauche d’analyse de la situation politique en Espagne. Mon objectif est d’éclairer la lanterne de ceux qui n’ont pas toujours l’occasion de suivre de très près l’actualité politique espagnole.

Parti Populaire : le mensonge pour stratégie !

Pour bien comprendre le climat politique particulièrement délétère en Espagne, il est essentiel de s’attarder sur la stratégie destructrice mise en œuvre par le Parti Populaire depuis sa défaite électorale 2004. Pour rappel, le 11 mars de cette année-la, sont perpétrés à Madrid les attentats les plus meurtriers de l’histoire espagnole. Le Gouvernement espagnol présidé à l’époque par le très américanophile et très néo-conservateur José Maria Aznar est horrifié par la perspective de voir ces attentats attribués à la mouvance islamiste. En effet, comment ne pas lier ces attentats à la présence des troupes espagnoles en Irak ? Les espagnols, opposés en grande majorité à l’illégale intervention militaire en Irak, ont, à ce moment, encore à l’esprit les déclarations belliqueuses et matamoresques d’Aznar en présence des va-t-en-guerre Tony Blair et de GW Bush lors du « sommet des Açores » véritable lancement médiatique de l’invasion du territoire irakien. La participation espagnole à cette opération militaire a déclenché une très forte opposition de l’opinion, traduite par des mobilisations de masse aux quatre coins du pays. Dès lors, le risque est grand de voir une majorité des espagnols faire le lien entre les attentats de Madrid et la présence militaire espagnole en Irak et sanctionner le gouvernement du parti populaire coupable d’avoir, par son soutien inconditionnel à l’offensive anglo-américaine, exposé l’Espagne à des représailles de la nébuleuse islamiste. La stratégie du gouvernement d’Aznar va être de nier l’évidence et d’attribuer l’attentat à l’ETA. Le Parti Populaire (PP) ayant fait en partie campagne sur la nécessité d’être ferme par rapport aux séparatistes basques, la thèse mensongère sur la responsabilité de l’ETA dans les attentats de Madrid devait légitimer le projet politique du PP auprès de l’opinion publique. La manœuvre est grossière et ne trompe pas la majorité des espagnols. Dès les premières heures, l’ETA dément fermement tout implication, les enquêteurs admettent ne pas reconnaître le modus operandi de l’organisation basque et les médias du monde entier déplorent la nouvelle action meurtrière du réseau Al-Quaida. Le dimanche 14 mars 2004, les espagnols sanctionnent le gouvernement sortant. Le Parti Socialiste Ouvrier espagnol (PSOE), donné largement battu par tous les sondages d’opinions encore une semaine auparavant est le grand vainqueur des élections. Il était a espérer que suite à cette défaite, les cadres du PP allait reconnaître leur erreur et avoir le bon sens de revoir leur stratégie. Il n’en a rien été ! Aznar ayant pris sa retraite (retraite dorée il faut bien le dire puisqu’il est consultant politique de divers instituts liés aux milieux néo-cons américain), les trois anciens ministres (Acebes, Rajoy, Zaplana) les plus en vue des gouvernement du PP, vont décider de persister dans le mensonge. Aidé par des médias « proche » (Cadena Cope, el Mundo,..) il vont mettre en place une stratégie de confrontation avec le nouveau gouvernement du PSOE. Certains iront même jusqu’à accuser, dans des termes à peine voilés, le PSOE d’avoir comploté avec l’ETA pour organiser les attentats du 11 mars 2004 en faisant croire que ceux ci étaient une action terroriste islamique en guise de représailles contre la présence militaire espagnole en Irak afin de voler la victoire électorale promise au PP ! Ces accusations, pour aussi fantaisistes qu’elles puissent paraître en dehors des frontières de l’état espagnol, ont été considérés comme crédibles par un certain secteur de l’opinion publique percevant la défaite du PP comme une injustice à réparer voire comme un coup d’état à contrer ! Ainsi, tout au long de l’enquête sur les attentats, la presse d’opinion proche du Parti Populaire va dénoncer le fait que les policiers en charge de l’enquête aient fait preuve de partialité en privilégiant la piste du réseau islamique (pourtant considérée par tous les spécialistes internationaux comme la seule plausible) à celui de l’ETA. L’issue du procès des auteurs des attentats du 11 mars 2004 a encore été l’occasion d’une dernière passe d’armes sur cette question entre PP et PSOE . Aux socialistes, qui après la sentence du tribunal demandaient à Rajoy, le président du PP, de reconnaître que ce n’était pas l’ETA qui avait organisé les attentats du 11 mars 2004, Zaplana demandait minablement en échange de reconnaître que… ce n’était pas la présence espagnole en Irak qui était la cause des attentats (1).

Il est vrai que l’entourage du PP n’est plus à une manipulation près. Ainsi, dans le cadre du débat sur l’adoption d’une législation condamnant les crimes du franquisme qui a suscité une très forte polémique en Espagne, certains médias de droite (2) vont faire dans le révisionnisme historique et attribuer la responsabilité de l’éclatement de la guerre civile espagnole au PSOE et à ERC (Nationalistes catalans de gauche actuellement présents dans le gouvernement autonome de Catalogne). Oublié le soulèvement militaire impulsé par des factieux emmenés par le général Franco contre la République et son gouvernement démocratiquement élu, c’est la gauche qui a initié cette guerre qui a causé la mort de plusieurs centaines de milliers d’espagnols… Le drame c’est qu’il suffit souvent de répéter un mensonge plusieurs fois pour que les gens commencent à y croire. La Droite espagnole l’a très bien compris.

Etat espagnol : Les nationalismes à l’œuvre

Sans aucunement avoir la prétention de vouloir établir une typologie précise des sentiments nationaux existants en Espagne, il est intéressant de mettre en exergue trois nationalismes particulièrement prégnants dans la réalité politique espagnole d’aujourd’hui.

Commençons par le nationalisme basque. Le premier parti de la communauté autonome du Pays Basque est le PNV. Outre son attachement au nationalisme basque, ce parti professe une idéologie conservatrice et catholique. Malgré une méfiance séculaire envers le gouvernement de Madrid quel qu’il soit, le PNV s’était allié aux républicains en 1936 contre l’insurrection menée par Franco. Ce dernier s’était vengé en demandant à ses alliés allemands de rayer de carte la ville de Guernica, haut lieu du nationalisme basque. Comment aborder la question du nationalisme basque sans ouvrir une parenthèse sur l’ETA ? L’organisation séparatiste a, depuis la fin des années soixante, choisi la voie des armes comme moyen de mener à bien son dessein politique. Il faut bien dire la législature qui se termine aurait bien pu être celle de la fin de la lutte armée. L’annonce par l’ETA , le 22 mars 2006, d’une trêve unilatérale et illimitée avait ouvert des perspectives de solution négociée au conflit. Un dialogue avait d’ailleurs été ouvert entre les représentants de l’organisation basque et le gouvernement espagnol. Il a vite tourné court, les attentats ayant même repris depuis lors. Le mouvement abertxale et le Gouvernement Zapatero ont ainsi manqué, pour diverses raisons, le compromis historique qui aurait permis de mettre à la violence terroriste. Sans rentrer dans une analyse étayée des raisons qui ont provoqué la faillite des négociations, gageons que le harcèlement constant du Parti Populaire contre un Gouvernement coupable d’avoir « oser » négocié avec des terroristes n’aura pas contribuer a établir un climat politique serein. Le PP aura été jusqu’à instrumentaliser les associations de victimes du terrorisme pour favoriser sa stratégie de déstabilisation permanente du gouvernement. Quel dommage que même sur des enjeux aussi essentiels, Rajoy et ses proches n’aient pas réussit à sortir de leur partisanerie coutumière.

Passons maintenant au nationalisme catalan. Si ce dernier n’a jamais été porteur d’actions violentes comme le nationalisme basque, la défiance envers tout ce qui ressemble de près ou de loin à du centralisme est très forte. L’hostilité envers les symboles de l’autorité centrale comme la monarchie est bien réelle. Ouvertement revendiqué par certains partis comme ERC, l’indépendance de la Catalogne ne fait pas l’unanimité dans l’ensemble de la communauté autonome. Toutefois, une majorités de catalans est favorable à d’avantage d’autonomie pour cette Communauté et donc d’une révision de la constitution espagnole. Cela n’est guère aisé dans la mesure ou la constitution à été élaborée d’un large consensus en 1978.

Enfin, le nationalisme espagnol ou espagnolisme constitue le prolongement d’une idéologie conservatrice empreinte de militarisme et de colonialisme. Les nostalgiques de la « grandeur » de l’Espagne sont encore nombreux surtout dans les rangs du PP. Ce dernier n’a d’ailleurs de cesse de dénoncer le manque de patriotisme et de chauvinisme du gouvernement lorsqu’il se montre trop complaisant avec les revendications autonomistes de certaines formations politiques. Se rompe Espana ! L’Espagne se brise ! C’est sur cette peur fort prégnante dans certains milieux que le PP joue pour montrer que le PSOE est loin d’être le meilleur garant de l’unité de l’Espagne constamment mis en danger par les séparatistes divers et variés. L’intransigeance du PP rend impossible un débat serein sur le statut d’autonomie de diverses entités territoriales. Ce qui souvent a pour conséquence de radicaliser des partis comme ERC et le PNV. Et aussi de raviver les fantasmes putschistes de quelques militaires nostalgiques de l’Espagne de Franco.

Le bilan postif du PSOE : un plus pour les prochaines élections ?

La législature qui s’achève a, malgré le climat politique tendu, été positive sur le plan socio-économique. Création d’emplois, croissance soutenue, compétitivité accrue des entreprises espagnoles à l’étranger : Tous les indicateurs utilisés habituellement attestent de la « bonne santé » de l’économie espagnole !. Soit dit en passant, il est clair que ces critères ne sont pas neutres au niveau idéologique et que leur mise en exergue systématique dans les médias loin d’une volonté d’objectiver l’analyse économique répond davantage à la volonté politique de renforcer le cadre de référence néo-libéral. Cette petite digression étant faite, j’en reviens au bilan du gouvernement du PSOE et plus particulièrement à la politique sociale. Augmentation du salaire minimum, de la pension minimale, soutien accru à la parentalité : autant de réformes porteuses pour la collectivité. Des avancées remarquables ont été enregistrées également au niveau éthique avec notamment le mariage homosexuel, la promotion de l’égalité homme-femme avec notamment une historique parité au gouvernement ainsi qu’une régularisation massive des sans-papiers.

Toutefois, ce bilan plus qu’honorable ne sera peut être pas déterminant dans l’issue du vote du 9 mars prochain. En effet, la droite conteste les bons résultats économiques globaux à l’aune du ralentissement économique enregistré au cours du dernier trimestre 2007. Rejetant avec la mauvaise foi qui ne lui a pas souvent fait défaut la possibilité d’une cause externe comme l’impact de la conjoncture économique mondiale défavorable, le Parti Populaire fustige allègrement la mauvais gestion économique au gouvernement de Jose Luis Zapatero et lui fait porter l’entière responsabilité du ralentissement économique.

Pour le reste, le Parti Populaire tente de minimiser l’impact de la hausse des pensions et des salaires minimum acquis lors de la législature qui s’achève et propose en bon parti de droite une grande réforme fiscale qui pourra augmenter le salaire-poche des espagnols. Quant aux avancées éthiques dans le domaine de la régularisation et du mariage homosexuel, le Parti Populaire qui les a combattu avec acharnement durant toute la législature n’a de cesse de flatter son électorat le plus conservateur en réitérant son attachement aux valeurs traditionnelles de la Droite. Même la parité homme-femme n’a pas trouvé grâce aux yeux de Rajoy et des siens. Le tribunal constitutionnel a récemment rejeté un recours du PP contre l’obligation de parité homme-femme sur les listes électorales.

La polarisation extrême du paysage politique espagnol n’est pas sur le point de s’atténuer quand on sait que Rajoy a fait le choix d’écarter Alberto Ruiz Gallardon, maire centriste de Madrid, des listes électorales. Son propos trop modéré n’était sans doute pas du goût de son président de Parti…

Pour conclure, force est de constater que nonobstant le fait qu’elle soit souvent cité en exemple la « transition » espagnole qui a rendu possible le passage du régime franquiste vers une démocratie multipartite n’aura pas permis d’enterrer tous les vieux démons surtout à droite de l’échiquier politique. Il est pour le moins paradoxal qu’alors que pour ce qui est des partis socio-démocrates, la pression d’une certaine presse pour qu’ils se modernisent ou se rénovent (se « blairisent » ou se droitisent diront les mauvaises langues !) est forte, les prises de positions ultra-réactionnaires de certaines formations de droite semblent globalement susciter moins d’émoi dans les médias. Mais cela est sans doute une autre histoire…

1. El Pais, 2 novembre 2007, pages 12-13.
2. http://www.elmundo.es/elmundolibro/2004/10/05/historia/1096993336.html