dimanche 28 septembre 2008

Du bon usage de l’archaïsme en politique ou comment euthanasier le débat idéologique.


Didier Reynders comparait, dans le journal « la dernière heure » des 21 et 22 septembre derniers, le PS à « l’état soviétique ». On connaît la marotte du Ministre des finances qui s’est déjà lamenté à plusieurs reprises de l’absence dans les rangs du PS belge de socialistes « modernes » comme ceux qu’il côtoie lors des sommets ECOFIN, toutefois, il semble pertinent de s’interroger sur ce que Didier Reynders (ou d’autres) reproche exactement au PS.

Le président du MR qui déclarait ceci à la DH : "Depuis 20 ans, la Wallonie est dirigée par les socialistes les plus archaïques d'Europe. Ils n'ont pas évolué comme en Grande-Bretagne, en Espagne ou en Allemagne. Ils restent dans leurs maux : clientélisme, affaires, attaques envers les entreprises..."Que faut-il en penser ?

Tout d’abord, il importe de distinguer les pratiques illicites et inacceptables d’une minorité de responsable socialistes de ce qui relève de la ligne politique d’un parti. En ce qui concerne le « clientélisme » et les « affaires », il est clair qu’il s’agit de comportements individuels qui sont, bien évidemment, condamnables mais qui relèvent davantage du manque d’éthique de certaines personnes que de l’archaïsme d’un parti et des valeurs qu’il défend. Sur la question plus politique de « l’attaque envers les entreprises », le propos est tendancieux voire mensonger. On peut, en effet, se demander en quoi consiste « l’attaque envers les entreprises » du PS qui, durant ces dernières années, au fédéral a avalé la couleuvre des intérêts notionnels et de la réduction sensible de l’ISOC et au régional a mis en place toute une série de mécanismes d’aide à l’emploi pour les entreprises désireuses d’engager du personnel.

Mais le discours de Didier Reynders est, il ne s’en cache d’ailleurs pas, éminemment idéologique. Quel est cette évolution des partis socialistes de Grande-Bretagne, d’Espagne et d’Allemagne dont il parle ? Le New Labour anglais apparaît comme un parti exemplaire pour beaucoup de libéraux. Certes, l’étoile de Tony Blair a pâli mais son approche des politiques économiques ne pouvait que séduire la droite qui aime lui entendre dire que « la gestion de l’économie n’est ni de gauche ni de droite, elle est bonne ou mauvaise. Ce qui compte, c’est ce qui marche ». La logique sous-jacente étant, bien entendu, que seules les politiques économiques néo-libérales « marchent ». Cet abandon apparent du terrain de l’idéologie pour ce qui se veut une logique objective de recherche du meilleur résultat est également perceptible au sein du SPD allemand et du PSOE espagnol. Toutefois cette « modernisation » n’est pas si récente puisque les premiers ont pris leurs distances avec le marxisme lors du congrès de Bad Godesberg en 1959 et les seconds en 1979.

Didier Reynders appelle donc de ses vœux une « modernisation » ou une « blairisation » du PS belge qui, pourtant, dans les faits, a toujours été plus pragmatique et plus consensuel que ses partis-frères. L’allemande Rosa Luxembourg reprochait déjà en 1902 à son camarade Emile Vandervelde, président du Parti Ouvrier Belge, son alliance avec… le parti libéral!

En fustigeant le prétendu archaïsme des socialistes, Didier Reynders poursuit un objectif clair. Il veut faire rentrer les socialistes dans un cadre de référence idéologique dans lequel il est à l’aise pour mener et orienter le débat. Car si demain le PS, sous la pression de Didier Reynders ou d’autres leaders d’opinion d’obédience néolibérale, renie la Charte de Quaregnon, renonce explicitement à la défense des classes populaires et chante ouvertement les louanges du capitalisme, il ne sera plus qu’une pâle copie du MR à laquelle les électeurs préféreront inéluctablement l’original.

Le PS ne peut se laisser enfermer dans le réduit idéologique vers lequel le président du MR souhaite le pousser. Au contraire, face à un idéologue redoutable comme Didier Reynders, il est essentiel de marquer ses différences en mettant en exergue un projet de société à confronter à celui du MR. En tant que socialistes, nous devons répondre clairement à Didier Reynders ainsi qu’aux autres thuriféraires du néolibéralisme que les archaïques sont ceux qui refusent de réguler le marché, qui protègent le capital à risque et qui défendent les seuls vrais « assistés » à savoir les oisifs qui vivent de leurs rentes ou de leurs placements plutôt que de leur travail !

3 commentaires:

Anonyme a dit…

L'idéologue Reynders a ceci de redoutable qu'il procède systématiquement par une approche démagogique. Il ne livre pas réellement de "prêche" doctrinaire. Il présente comme des évidences "de bon sens" des affirmations hautement idéologiques, il procède par comparaisons entre éléments non-comparables, il agite en filigrane la peur du communiste - renvoyant l'opinion publique à des angoisses brassées avec savoir par certains médias.

Il me semble qu'un enjeu principal pour le PS est aussi de ne pas céder à cette démagogie basée sur une désinformation du public. Et surtout, de ne pas s'engouffrer dans le sillage du MR et d'adopter ces méthodes discursives.

Un discours tel que celui que tu développes dans cet article, camarade Carlos, parce qu'il est certes idéologique mais aussi fouillé et analytique, s'avère précisément à cet égard un bol d'oxygène !

A quand le prochain article ? :-)

Anonyme a dit…

et de l'autre, le PS qui a accepté le libéralisme, sous la forme d'une pseudo "économie sociale de marché" se perd en qualificatifs pour "distinguer" sa position de celle du MR. Il critique donc le capitalisme sauvage mais pas le capitalisme en tant que tel, l'ultra- ou le néo-libéralisme (dont la définition change toutes les deux décennies*), mais pas le libéralisme.
En fait les critiques de reynders sont infondées pcq le ps, du point de vue économique, soit l'essentiel, est totalement converti au libéralisme économique
* dans les années soixante un néo-libéral est un libéral partisan de plus... d'intervention de l'Etat

Anonyme a dit…

Mon bon Renaud,

Je pense qu’il faut tirer profit de l’avantage d’avoir en face de nous un idéologue comme Reynders qui, au contraire de certains zélateurs du libéralisme social qui l’ont précédé, a un discours assumé et clair. C’est l’occasion de s’inscrire en faux contre ceux qui disent que les différences entre Droite et Gauche sont dépassées en clarifiant le débat politique via la mise en exergue d’un projet alternatif fort. C’est sans doute ce qui a manqué, lors des dernières présidentielles, en France à la candidate Ségolène Royal dont les louvoiements au centre n’ont pas produit les effets électoraux escomptés. Face à un Sarkozy dont le discours était très marqué, la candidate des socialistes français n’aura pas été en capacité d’enthousiasmer les électeurs autour de son projet Dans l’Hexagone comme ailleurs, il est déjà arrivé que les classes populaires votent contre leurs intérêts. Dès lors, il est essentiel pour la Gauche de construire un message politique clair que les travailleurs soient en mesure de se réapproprier.

Mon bon Julien,

Je ne te ferai pas l’offense de te citer la charte de Quaregnon comme la preuve irréfutable que le PS s’oppose aujourd’hui encore à l’économie de marché ;-) L’acceptation ou non par le PS de l’économie de marché n’était d’ailleurs pas l’objet de mon article.

Deux éléments de réflexion que je te soumets.

Premièrement, en tant qu’historien tu n’es pas sans savoir que les socialistes belges ont toujours été des pragmatiques en comparaison de leurs camarades originaires d’autres pays. Ainsi, pendant que Guesde et Jaurès discouraient savamment autour de la controverse dite des deux Méthodes, le POB développait des alliances objectives en vue de l’obtention du suffrage universel pour les travailleurs. Objectif politique que certains méprisaient parce que trop « bassement » réformiste. Il n’empêche c’est avec le suffrage universel et des victoires électorales (toujours partielles puisque les socialistes n’ont jamais été majoritaires en Belgique et n’ont jamais pu former que des gouvernements de coalition) que des conquêtes sociales primordiales ont pu être engrangées (congé payés, assurance maladie, allocations sociales, instruction obligatoire…) grâce aux socialistes. En tant que syndicaliste tu ne remettras certainement pas en question la pertinence de ces avancées.

Deuxièmement, ce serait mentir par omission que d’ignorer l’apport essentiel du mouvement social aux conquêtes précitées. Je pense même que les possibilités pour le Parti Socialiste d’obtenir de nouvelles victoires aussi significatives dans le cadre d’un gouvernement voué à être sempiternellement multipartite passent par l’établissement par ce même mouvement social d’un rapport de force plus favorable aux forces de progrès que celui existant aujourd’hui.

Carlos