mercredi 31 décembre 2008

Elitisme scolaire 2 Mixité sociale 0

L’enseignement reproduit les inégalités sociales ! Le constat, aussi limpide que lapidaire, aussi évident que révoltant, a été posé pour la première fois par Pierre Bourdieu en 1970. Dans un ouvrage coécrit avec Jean-Claude Passeron, le sociologue française jette aux orties l’image d’épinal de l’école donnant les mêmes chances à tous et démontre qu’elle n’est que le moteur d’un implacable mécanisme de reproduction des élites de la société. Depuis lors, la pertinence de cette analyse a été maintes fois confirmée par diverses études scientifiques mettant en exergue la corrélation entre l’origine sociale des élèves et leur chance de réussite à l’école. Une fois le dramatique constat posé, le bon sens voudrait que le politique prenne les mesures adéquates pour transformer l’école en un réel outil d’émancipation sociale. Cela n’a que trop rarement été le cas. Christian Dupont et Marien Arena ont récemment tenté de faire bouger les choses en Communauté française avec l’issue funeste que l’on connaît.
Tant le décret dit « inscriptions » que son ultime avatar, le décret dit « mixité», ont été pris pour cible par certains lobbys rivalisant de mauvaise foi pour jeter l’opprobre sur ce qui constituait la mesure progressiste la plus ambitieuse de la législature. On peut dire que nos élites se sont mobilisées pour ne pas se voir dépossédées de leur capacité à s’auto-reproduire. Soutenus par une majorité de journalistes sans doute soucieux d’éviter que le seuil des écoles de leurs enfants ne soit un minimum ouvert à des couches sociales jusqu’ici confinées dans leurs écoles-ghettos, les adversaires de la régulation des inscriptions scolaires ont obtenu une grande victoire.

Paradoxalement, le décret mixité ne visait juste qu’à garantir pour tout le monde le respect du prescrit constitutionnel du libre choix par les parents de l’établissement scolaire de leurs enfants. Il est piquant de constater que ceux qui ont voués aux gémonies les textes de Christian Dupont et Marie Arena sont également les zélateurs de la liberté de choix absolue des parents. On a beaucoup vu les files, les tirages au sort et les parents qui pestaient contre les décisions injustifiées du politique. On ne verra malheureusement jamais sur RTL-TVI, les images d’un enfant avec ses parents issus de milieu populaire tentant d’obtenir une inscription dans une école huppée dont le directeur essaiera de les dissuader par tous les moyens tant il est persuadé que son établissement ne conviendra pas à l’enfant (ou plutôt que l’enfant ne conviendra pas à son établissement). Il n’y aura jamais de caméra présente dans les bureaux feutrés, où les parents d’enfants que l’accent, l’élocution ou l’habillement rendent indésirables dans l’école sont plus ou moins poliment éconduits. Ces images que l’on ne verra pas constituent pourtant depuis bien des années la triste réalité vécue par certaines familles à qui l’on tend moins facilement le micro. Dans notre société, tout le monde n’a malheureusement pas les moyens de défendre ses intérêts (de classe ?).

Il est à craindre que la portée de l’échec des mesures visant à réguler les inscriptions du précédent soit conséquente et rende difficile toute initiative en la matière dans les années à venir. En effet, à l’instar de la confiscation du débat sur les 35 heures en France via une couverture médiatique systématiquement orientée voire déformée, nos faiseurs d’opinions vont sans doute amplifier et ressasser les problèmes liés à l’application des décrets « inscriptions » et « mixité » dès lors qu’une proposition allant plus ou moins dans le même sens sera sur la table. Dans ces conditions, il est fort peu probable qu’un futur ministre de l’éducation prenne encore le risque de légiférer en la matière. Cette défaite risque donc d’être lourde de conséquences pour les progressistes attachés à la démocratisation de l’enseignement.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Et oui, c'est bien là le malheur. Le grand public a retenu qu'on voulait limiter la liberté de choix alors que le texte permettait au contraire de la garantir avec un peu de discrimination positive pour la dernière version. Je pense qu'il n'y aura pas d'issue dans ce dossier sans un accord de toutes les formations politiques (et oui, la guerre scolaire) mais pas que cet accord soit impossible. Osons encore rêver. :-)

Anonyme a dit…

Bonjour,

Il est évident qu’une mesure ambitieuse visant à démocratiser l’enseignement ne peut se faire que sur base d’un soutien le plus large possible tant du politique que des acteurs de l’école. Toutefois, en l’espèce, il me parait difficile d’obtenir un consensus généralisé autour d’une mesure un minimum contraignante pour garantir effectivement l’accès à toutes les écoles pour tous les élèves. D’une part, le lobby des directions d’écoles (surtout celles du libre) est le plus souvent opposé par principe à toute contrainte même minime à sa liberté d’organiser l’enseignement comme il l’entend. D’autre part, il est très tentant, surtout sur un sujet aussi sensible que le futur de nos enfants, pour l’opposition de surfer sur l’émotionnel et de jouer la carte de la démagogie et du populisme pour mettre un Gouvernement sous pression. Dès lors, je suis peu optimiste pour l’avenir.